Pignouf et Trombone; Les divergences historiques.

Il n’y a rien comme publier le fruit de nos recherches pour attirer d’autres détails en provenance de différentes sources (et les notices d’erratum).  J’ai d’abord pensé modifier l’article d’hier, mais finalement j’avais trop de nouveau matériel.  Valait mieux écrire un texte complémentaire.

Tout d’abord, Charles Montpetit, co-auteur de Pignouf, m’a envoyé quelques scans tirés du numéro du Trombone Illustré publié le 11 août 1977 dans Spirou 2052, qui précède les deux semaines de Pignouf.  Voici donc l’article annonçant les vacances du Trombone.  Et en dessous, un agrandissement de la section où il est question de Pignouf:



Franquin étant habitué à venir à Montréal pour des salons de BD, on se doute bien qu’il ironise en évoquant le cliché du trappeur canadien.  Ce numéro se termine avec la liste des collaborateurs…

… suivi d’une pub gribouillée de la main de Franquin, annonçant Pignouf.

Hier, je rapportais les paroles de Simon Labelle dit Silab, l’autre co-auteur de Pignouf, qui disait:

« Le rédacteur en chef de l’époque, Thierry Martens, nous a écrit que notre envoi l’avait amusé, mais que, malheureusement, il n’y aurait pas de possibilité de publication. Point. Ça nous a bien déçus, pas tellement parce que Pignouf ne serait pas publié (on n’y croyait pas), mais parce qu’il était clair que la rédaction n’avait rien compris à notre démarche. Pour nous, Pignouf n’était pas un manuscrit, c’était un commentaire de lecteurs adressé aux auteurs. Sauf que ça venait de s’arrêter là, les auteurs ne le verraient jamais. » 

Eh bien réjouissez-vous, les gars.  Avec le temps, les historiens de Spirou ont compris votre démarche, eux!  L’ami Christ Oliver m’a envoyé cet article écrit par Hugues Dayez paru dans Spirou 3787 et daté du 10 novembre 2010. La version lisible est juste dessous.


Un exemple de parodie de rubrique:

« Est-ce pour montrer que, quoi qu’on en dise, il avait lui aussi le sens de l’autodérision? »
Il est amusant de constater que d’un côté nous avons Silab qui dit que Martens leur a annoncé (en avril) que Pignouf ne serait jamais publié, et que de l’autre Hugues Dayez soit surpris que Martens l’ait publié (en août).  En effet, selon les différentes sources, Martens avait deux bonnes raisons de ne pas publier ce pastiche: Il n’aimait pas les suppléments qui lui avaient été imposés, et il était (apparemment) reconnu pour ne pas apprécier la critique de son travail.  

En combinant toutes ces informations, on peut quasiment en arriver à cette théorie: Martens a cédé sous la pression de Peyo, Franquin, Delporte, et tous les autres collaborateurs amusés par les dix copies de Pignouf que leur a apportées Peyo.

... Ou alors, après avoir enduré vingt-deux suppléments Trombone dans lequel les auteurs critiquent le rédacteur en chef, le rédacteur en chef leur a rendu la politesse en publiant le supplément Pignouf qui critique les auteurs.

M’enfin, peu importe comment les choses se sont déroulées en coulisses, le fait demeure que Pignouf, a d’abord été annoncé (à ses auteurs) comme étant un truc qui ne sera jamais publié, pour être ensuite annoncé (dans Spirou), quatre mois plus tard, comme étant « une chouette petite chose bien sympa qui nous tenait à coeur depuis longtemps. »

En fait, il a dû apprécier puisqu’il a payé les deux auteurs pour leur travail, l’équivalent d’environs $20.00 la page.  Même à l’époque, ce n’était pas cher payé.  Cependant, ils n’en ont pas fait de cas, car comme le précise Charles Montpetit: « Remplacer Franquin, Delporte, Degotte, F’Murr, Jijé, Jannin, Bretécher, Hausman et plusieurs autres pendant deux semaines? Nous aurions PAYÉ bien plus cher pour cet honneur! »

Quant à la mort du Trombone Illustré…
Je ne sais pas d’où m’est venue cette idée erronée mais durant ces vingt dernières années, j’ai bêtement cru que le Trombone n’était pas revenu après le passage de Pignouf.  Heureusement, Charles Montpetit est là pour me remettre le coucou dans la pendule (ou kek’chose comme ça.) : « Après Pignouf, il y a eu huit autres Trombones (jusqu’au 20 octobre 1977), plus un inédit do-it-yourself créé en gang, en secret et en pièces détachées pour les 50 ans de Delporte (les diverses contributions ayant par la suite été reprises dans la biographie Réacteur en chef et dans la réédition de l’album relié du Trombone.) »

Hier, je citais L’histoire de la bande dessinée pour les débutants par Frédéric Duprat, qui explique que le Trombone a été interrompu pour cause de guéguerre d’opinions entre Franquin et Martens, après que Franquin ait écrit dans le Trombone un article dans lequel il «reproche à Thierry Martens, rédacteur en chef de Spirou, de  publier des articles sur des maquettes d’avions de guerre nazis.»  À ce sujet, monsieur Montpetit m’a écrit ceci hier:

« L’énorme biographie de Delporte, Réacteur en chef, [lienconsacre deux gros chapitres au Trombone, où est entre autres reproduite une lettre d’Yvan au journal Graffito: « Je ne partage pas les opinions de Thierry Martens, ou en tout cas celles que parfois il affiche (…). Mais je ne suis pas plus d’accord avec les commentateurs de BD, ces ténias nourris du sang de nos petits journaux, quand ils évoquent les mânes de la zizanie manichéenne, quand ils m’opposent à Martens comme si on était les petits bonshommes de ces baromètres, vous connaissez, pluie et beau temps. Martens fait son boulot, moi le mien, et on n’est pas plus opposables que n’importe qui… »

N’en déplaise à Frédéric Duprat, Charles Dupuis résume probablement le mieux quel était le problème dans un autre passage de la biographie: « Ce n’était pas un problème de cohabitation. C’était plutôt un problème d’ordre financier: le Trombone représentait un investissement mais il n’avait pas fait monter les ventes du journal. » Et Franquin d’ajouter: « Charles Dupuis a été très courageux de publier le Trombone, car il était convenu qu’il ne s’occuperait pas de son contenu. [Or, Delporte] avait eu l’idée d’un article intitulé « Devenez riche en créant une religion. » Charles Dupuis est tombé dessus et a dit : « Ça je n’en veux pas! » [Après d’autres incidents du genre,] on s’est rendu compte qu’on ne pouvait pas écrire en toute liberté, et devant le piètre résultat du Trombone auprès des lecteurs, on a décidé d’arrêter. »

Donc, tout dépendant des sources, voici les possibles personnes et/ou raisons qui ont mis fin à l’aventure du Trombone Illustré:

  • Thierry Martens a tué le Trombone car il n’aimait pas les suppléments qui lui étaient imposés car ils prenaient la place de ses propres projets de suppléments.
  • Thierry Martens a tué le Trombone car il a été insulté par l’article antimilitaire d’André Franquin.
  • Charles Dupuis a tué le Trombone car il perdait de l’argent dans l’aventure.
  • André Franquin et Yvan Delporte ont tué le Trombone car ils étaient déçus de ne pas y avoir la liberté promise puisque Charles Dupuis, malgré accord préalable, censurait le contenu du Trombone.
  • André Franquin, Yvan Delporte, Thierry Martens et Charles Dupuis ont tué le Trombone puisque ce dernier a reçu de piètres résultats au référendum des lecteurs.
  • Les lecteurs ont tué le Trombone, car durant l’époque Trombone Illustré, Spirou a perdu 6000 lecteurs.  Du moins, si on en croit cette section de leur page sur Wikipédia.

Sinon, pour les collectionneurs ou les curieux, je conclus en vous transmettant un dernier message de Charles Montpetit: 

« Il me reste deux ou trois copies du Pignouf photocopié original au prix de l’époque (1$ + frais de poste). Ceux que ça intéresse peuvent m’écrire à cmontpetit(arobas)hotmail.com. »

A propos Steve Requin

Auteur, blogueur, illustrateur, philosophe amateur et obsédé textuel.
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2 commentaires pour Pignouf et Trombone; Les divergences historiques.

  1. Charles Montpetit dit :

    Encore moi. Ce n’est pas que ça ait la moindre importance, mais rendons quand même à César etc.: malgré notre allusion cynique aux rubriques de Spirou qui étaient remplies par les lecteurs et que nous soupçonnions peu ou pas rémunérées, Pignouf, lui, nous a bel et bien été payé par Martens… à un tarif si absurdement bas (approximativement 20$ la page) que nous avons d’abord réécrit au journal pour vérifier si nous avions bien compris – mais sans faire plus de difficultés, bien sûr, parce que nous restions fidèles à l’idée qu’il s’agissait simplement d’une lettre au courrier des lecteurs. Et puis, remplacer Franquin, Delporte, Degotte, F’Murr, Jijé, Jannin, Bretécher, Hausman et plusieurs autres pendant deux semaines? Nous aurions PAYÉ bien plus cher pour cet honneur!
    Quant à Peyo, c’est l’inverse. Si je me souviens bien, il était prêt à acheter ses dix exemplaires… mais nous les lui avons donnés gratuitement. Nous n’étions quand même pas radins… nous!

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